L’émission de Jack Benny
« Sortons ce truc-là d’ici, dis-je.
— Ecoute, « L’Œil », dit Pilon. Ne parle pas d’elle, comme ça, tu veux ? Etre morte, elle n’aime pas plus ça que toi. D’accord ? »
J’avais fichu Pilon en pétard.
« Je suis désolé », dis-je. En fait, je n’étais pas désolé le moins du monde. Tout ce que je voulais, c’était continuer le boulot tranquille.
« Je vais chercher quelque chose pour l’emballer, dit Pilon, rasséréné.
— Où est ta voiture ?, dis-je.
— Garée de l’autre côté de la rue, dit Pilon. Je la gare tout le temps de l’autre côté de la rue. »
Il a traversé la pièce en pilonnant et il a ouvert un placard. Il y avait un tas de linge sale par terre à côté d’un sac à linge plein.
« Ah, merde ! Ces fumiers m’ont piqué mon sac à linge », dit Pilon, tout en ouvrant l’autre sac pour en répandre le contenu par-dessus l’autre pile.
« Ça fait deux qu’on me pique », dit-il. « Enfin, c’est ce que je vais dire à la police quand tu m’auras donné un coup de poing dans la mâchoire, que je puisse fournir un alibi potable pour cette petite fantaisie. Je leur dirai que deux voleurs de cadavres ont fait une descente dans la glacière. Je me suis bien défendu, mais ils m’ont mis K.O. Peut-être même que j’aurai une médaille et que le maire viendra me serrer ma petite main froide, froide, froide… »
On a mis le corps de la jeune prostituée dans le sac à linge sale. Pilon s’est bien débrouillé pour le plier.
« Dis donc, j’ai fait, t’as le chic pour ce genre de boulot.
— Ben, je peux, dit Pilon. J’ai reçu une montre en or l’an dernier pour mon dix millième cadavre. » Il lui a donné une petite tape sur le crâne avant de tirer les cordons qui lui fermaient le haut du sac par-dessus la tête.
« Adieu, môme, dit Pilon, tu vas me manquer.
— T’inquiète pas, j’ai fait. Un de ces quatre matins, tu la rejoindras, et t’auras tout le temps de te rattraper.
— T’es plutôt marrant, toi, comme gars », dit Pilon. « Tu devrais passer dans l’émission de Jack Benny. »